dimanche 29 mars 2009

Madame H.

"Le divertissement est le meilleur régime contre le poids de l'existence...."
Franck Dhumes

Premiers pas dans la vie active, renoncement à la vie de bohème, il faut bien vivre, gagner sa vie, comme on dit. J'ai dans un premier temps, gagner ma vie le jour, et vécu la nuit. Je venais d'être embauchée comme assistante de Madame H. Assister Madame H. n'était pas une mince affaire, Madame H. avait une vie bien remplie, une vie trépidente, de gros moyens, une ambition démesurée. Madame H. avait aussi un mari, un bel appartement et deux jolies petites fille. La suivre était exténuant, car il s'agissait bien de cela, la suivre, la suivre dans ses faits et gestes, dans ses déplacements, la suivre dans ses délires, la suivre pour mieux la servir, pour mieux lui servir. Etre à sa disposition, à sa dévotion, être son ombre, son soutien, son faire-valoir, son éminence grise. L'attendre des heures, puis exécuter quatre à quatre, ses ordres confus, rendre limpide ce qui "tombait sous le sens", rendre propre et clair ce qu'elle avait griffonné sur un bout de papier, préparer ses réunions et ses voyages, prendre ses rendez-vous chez ses clients ou chez son coiffeur. Faire patienter les rendez-vous en question, supporter ses humeurs. Ne jamais être dupe de ses flatteries, de son affection "mais que ferais-je sans toi ?", ne jamais lui faire remarquer que votre dossier impeccable est maintenant criblé de tâches de café et d'empreintes grasses, la pauvre chérie n'a pas eu le temps de déjeuner, refaire le dossier sans rechigner, pour faire disparaitre les traces de ses petites viennoiseries, refaire à nouveau si nécessaire, retaper aussi le compte-rendu du Comité de Direction qu'un malheureux soda a légèrement endommagé. Rappeler untel pour annuler tel rendez-vous, rappeler l'autre pour le convoquer au plus vite, la rappeler elle pour lui confirmer tout ça. Finir la proposition x, préparer le voyage avec y, les billets, les hotels "et puis, tu seras gentille, trouve moi un cadeau pour Eléonore, elle a cinq ans lundi et j'ai vraiment pas le temps de m'en occuper". Trouver un cadeau pour Eléonore, l'enfant chérie, pourrie, autre activité bénie de l'assistante de Madame H., activité annexe à exercer en dehors des heures de bureau bien sûr. Qui comprendrait que vous ayez à vous absenter pour faire une course chez Bonpoint en plein après-midi, qui comprendrait mieux que vous ayez aussi à passer au pressing, à acheter une Delsey pour Madame, un carré Hermès pour une collaboratrice ou un parfum Guerlain ? Assister Madame H. c'est aussi avoir du gout, de l'idée, du dévouement, de l'ordre, accepter les ordres avec bonne humeur et les contre-ordres. Savoir surmonter les turbulences puis profiter des périodes de grand calme, les savourer. S'enrober d'ennui, se replier un moment sur soi-même, sans Madame H. et ses exigences, ses urgences, sans appels téléphoniques, sans plus de compte-rendu et de courrier. J'avais parfois une après-midi devant moi, toute une après-midi, à noircir des pages arrachées à ses carnets de rendez-vous, de dessins et de mots, tantôt l'un, tantôt l'autre, à revenir à la vie, à me rapprocher de la nuit. Difficile alors de répondre aux contingences matérielles. Il arrivait que le téléphone mette un certain temps à me sortir de ma rêverie, que l'interlocuteur s'impatiente, se fâche même. Ses problèmes semblaient si dérisoires alors, de délai, de quantité et que sais-je encore, qu'il devait sentir dans ma voix quelque chose d'ironique, laquelle cherchait seulement à me débarrasser au plus vite de l'intrus. J'avais déjà échafaudé l'esquisse d'une nouvelle toile, alors ses bricoles... Le téléphone raccroché, je pouvais aussitôt m'échapper, oublier son ton méprisant, suffisant, sûr de lui. J'aurais bien volontiers quitter ce bureau, ce mépris, ces quatre murs entre lesquels j'avais du mal à respirer mais j'étais prise. A contenir ma colère, à reporter l'exécution de mes projets, je gagnais en force et en lucidité. L'ennui était source d'inspiration comme la fureur. Chaque nuit, je commençais par expier ma peine et ma désolation. Venaient ensuite mes thèmes favoris d'enfant maudit, mes tourments névrotiques, mes cauchemars favoris alors chaque matin, je me sauvais de moi-même, dans cette fonction de misère. Madame H. n'avait pas son pareil pour me distraire, Madame H. et ses préoccupations, ses réservations, ses bonnes intentions...

vendredi 20 mars 2009

des nuages plein la tête

La pièce unique n'était plus qu'une grande boite, remplie de cartons et de meubles repliés, une grande boite blanche avec deux trous ouverts en plein ciel. En dix ans, je ne possédais toujours que des meubles pliants, nomades, avec une intention plus ou moins consciente de ne jamais m'installer tout à fait. Les livres et les papiers avaient pris la plus grande place. Les livres avaient bientôt fait tout le tour de ma chambre, en piles inégales et les papiers sans ordre particulier avaient remplis des boites et des boites, et s'étaient parfois glissés entre les livres. Le plus lourd et le plus fastidieux avait été de les trier, de les ranger, le plus douloureux de retrouver des lettres et des gens oubliés. Jamais je n'aurais imaginé que ce déménagement provoquerait un tel chambardement. J'étais heureuse de partir, je quittais enfin ma chambre de bonne. Mais en repliant tout, il s'agissait aussi de régler les comptes et de faire place nette. Il s'agissait encore d'aller vers l'inconnu, d'aller ailleurs, vers le confort, une certaine idée du confort, tout ce que j'avais rejeté jusqu'ici. Je ne renoncerais pas là-bas à mes meubles nomades, à mes habitudes d'étudiant errant. Je continuerai à vivre à hauteur du sol, avec mes livres et mes carnets à portée de main, avec les fenêtres ouvertes en plein ciel et les nuages dans la tête.
Avec les livres et les papiers, papiers volants, papiers arrachés à quelques carnets, revenaient les histoires, les peines et les regrets. J'avais beau quitter cette chambre sous les toits pour un lieu plus grand, plus clair, j'avais gardé ceci, abandonné cela mais je continuais de trainer avec moi, malgré moi, des souvenirs, des histoires, des morceaux de vie qu'aucune poubelle parviendrait à chasser. Il me fallait refermer des portes, nettoyer dans tous les coins, ne rien omettre, ne rien négliger. Le ménage opérait dedans et dehors. A force d'avoir frotté, j'étais à vif. A force d'avoir trié, jeté, j'étais vidée, épuisée. Tout avait été passé au crible mais les murs parleraient toujours et encore, après moi, chez les prochains locataires, et surtout chez moi, dans les recoins de ma mémoire. En fermant pour la dernière fois cette porte, je fermais tout un pan de ma vie, un pan de mes plus belles années, de mes plus belles histoires. Chacune était revenue une à une avec des lettres, des photos, des cadeaux, tout était là et malgré moi, j'emportais tout, je laissais juste un bout de jeunesse.

mercredi 18 mars 2009

Château de sable

Château de sable, le temps des longues vacances, du passé simple et de l'imparfait. Le temps aussi des petites désillusions et des premières leçons. Je me souviens de ce premier château, j'avais mis tout mon coeur, toutes mes forces à construire mon édifice, avec mes seaux et mes pelles, avec mes mains, avec le plus grand soin, je l'avais bâti toute seule et il avait fière allure, mon château avec ses tourelles et son donjon, avec ses meurtrières et ses créneaux. J'étais fière, il me semblait aussi beau, aussi fort que le château que nous avions visité au début de l'été, ce château fort au dessus du lac d'Annecy, perché sur la montagne. Je me voyais déjà dans ces temps lointains, sauvée par des chevaliers au grand coeur, quand je sentis autour de moi une sorte d'agitation. Les gens peu à peu, commençaient à rentrer ou bien allaient s'installer un peu plus haut, pour profiter des derniers rayons du soleil. L'eau commençait à envahir mes douves. C'était magnifique, le château culminait au milieu de l'océan dans la lumière dorée d'une fin d'après-midi. J'admirais mon chef-oeuvre, je n'avais pas encore pris conscience qu'il commençait sérieusement à se désagréger. Les vagues, une à une, venaient mourir sur la face ouest du château et creuser ses fondations, insidieusement. C'est à ce moment là que ma mère cassa d'un coup toutes mes illusions, me sommant de ranger mes affaires et de m'apprêter à partir. "Mais Maman, mon château, j'peux pas le laisser" "Oh tu sais, dit-elle, dans cinq minutes, il ne restera plus rien". Comment avait-elle pu me dire ça, comme ça ? "On reviendra demain, tu en feras d'autres". D'autre, d'autre, mais je n'ai jamais pu en refaire un comme celui là. Celui là, il était géant, grandiose et puis, il abritait mes princes valeureux, mes princesses endormies, mes fées, mes potions magiques, mon avenir prometteur... "Si si ma chérie, on doit partir". Alors oui il m'a fallu renoncer,laisser périr les rêves au fond de l'océan. Il y a bien longtemps que je n'avais pas pensé à l'effet que produit sur moi cet effondrement fatal, j'étais partie la mort dans l'âme, laissant là, à jamais, une part de mon enfance, mais je n'ai jamais oublié le plaisir que j'avais eu à bâtir mon premier château en Espagne.

dimanche 15 mars 2009

aussi loin que

Je regardais aussi loin que je le pouvais et je voyais une jeune femme, une femme éternellement jeune, dans une robe de coton blanc. Je contemplais la ville et je ne voyais qu'elle. Je n'étais pas revenu ici depuis des années. Je me souvenais, tout revenait intact. Aujourd'hui tout était clair. J'avais cherché ma rédemption loin de cette route rocheuse. De temps à autre, après avoir invoqué les dieux et les fées, elle s'était laissée surprendre, je voulais croire qu'elle m'avait souri, qu'elle m'était apparue. Je n'avais jamais vu qu'elle dans toutes les femmes que j'avais croisées. Elles n'avaient jamais eu à s'en plaindre. Je ne leur avais jamais rien confié. Chaque fois j'avais fait semblant d'être gai, d'avoir eu plaisir à les rejoindre. Chaque fois, elles avaient ignoré les questions qui me rongent, les remords, les ravages, chaque fois, elles avaient déchiré davantage les lambeaux de mon être. Je restais là à regarder la route en contrebas, j'avais mal, j'avais peur qu'elle n'apparaisse plus puis en suivant quelques autos du regard, je reconnus l'auto rouge, celle qui l'avait fauchée, en bas du rocher. Je n'entendais plus rien ni le bruit des autos, ni le bruit des grillons. Je restais là, hébété, ma tête cognait, à éclater. "Monsieur, ça va, vous avez besoin d'aide ?" Le type de la station service me sortit de ma torpeur. Un peu plus tard dans la rue, elle apparut à nouveau, tandis que je faisais les cent pas, que j'allais et venais en attendant ma compagne, je vis quelqu'un en bas qui lui ressemblait étrangement, dans une robe très blanche et très légère, je reconnus ma bien-aimée qui s'avançait presque en dansant, qui faisait tout très exactement comme il y a vingt ans ce soir là avant l'accident.