jeudi 6 octobre 2011

Ana


"La parole n'est qu'un bruit et les livres ne sont que du papier"
Paul Claudel

Je me souviens de ton rire, Ana, profond, chaleureux, tellement bon, de ta voix, de tes bras, enveloppants, accueillants, je me souviens qu'avec toi, je me sentais toujours bien.

Je me souviens de tes livres, Ana, ceux que tu as tellement aimés, ceux que tu m'as offerts, ceux que tu faisais circuler d'amis en amis.

Je me souviens Ana, des voyages qu'on a rêvé de faire ensemble "mais là tu commences à être trop pauvre pour moi" m'as-tu dit, "à moins que ce soit moi qui ne soit assez riche" et j'entends encore ton rire.

Je me souviens Ana, de ton petit carnet et de ton écriture ronde qui remplissait toutes les pages, des citations, des réflexions, des noms… je me suis toujours demandée comment tu pouvais y retrouver quoi que ce soit.

Je me souviens Ana, de mon dernier appel, j'te rappelle m'as-tu dit, et ce morceau de voix suspendu, reste là à t'attendre.

Je me souviens Ana, de ta rudesse parfois, claire, sincère, mais surtout de ta tendresse infinie.

Je me souviens Ana, j'ai toujours laissé vierges les papiers que tu m'as offerts, tu trouvais ça dommage. Aujourd'hui, ils sont intacts comme les souvenirs et j'aime ça.

Je me souviens de tes "ma belle", "mon coeur", je me souviens de tout ce qui me faisait chaud au coeur à l'instant même où je passais la porte de ta boutique.

J'avais beau écrire "je me souviens", je m'adressais à toi, au présent, dans l'instant et je ne réalisais rien de cette absence, de ce silence, de ce vide immense. J'avais beau écouter tous ces "je me souviens", je n'entendais rien, ce n'était pas toi, là, entre ces planches de bois, sous ces monceaux de roses. Toi tu étais là.
C'est seulement, plus tard, quand je suis arrivée rue du Pont Louis Philippe, et plus tard quand j'en suis partie, plus tard, le soir, la nuit, que la vérité m'a frappée, de plus en plus fort.
J'ai pensé à ces lieux familiers où j'arrivais presque toujours à l'improviste, à ces lieux où tu m'accueillais toujours d'un "mon coeur", "ma belle", où l'on refaisait le monde, où je venais te chercher pour explorer un ailleurs...
La vérité est bien là, brusque et rude, mais je veux croire que ton âme rit encore, là, tout à côté.