jeudi 11 décembre 2008

la neige efface tout

Elle s’était habillée avec soin, elle avait rendez-vous avec elle et elle voulait se faire bonne impression. Elle était un peu intimidée au fond. C’est comme si elle se regardait pour la première fois. Avant de fermer la porte de chez elle, elle scruta le miroir une dernière fois. C’était une femme plus très jeune, ses paupières en tombant, masquait l’éclat de son regard. Elle avait beau faire, elle avait beau dire, le temps jouait contre elle. Fini le temps de l’innocence. Chaque jour creusait davantage son visage mais ce matin-là, parce qu’elle avait mis du fard, du mascara et un peu de rouge aussi, elle était assez satisfaite de son petit effet. Peut-être même que ces artifices lui donnaient une expression de jeune fille.
Elle vérifia plusieurs fois l’adresse, le numéro et le code de l’immeuble sur le bout de papier sur lequel elle avait tout noté. Elle reprit plusieurs fois le papier dans sa poche pour vérifier l’étage. Elle franchit la porte, le coeur battant, comme une jeune fille pour un rendez-vous galant. Elle monta doucement les escaliers, elle ne voulait pas arriver tout essoufflée. Elle monta encore, c’était au quatrième étage. Elle sortit un miroir de poche et effaça une trace de noir sur sa paupière. Elle était devant la bonne porte. Elle attendit d’avoir complètement retrouver son souffle pour sonner. La porte s’ouvrit et une voix métallique la pria d’entrer dans la salle d’attente qui se trouvait sur sa gauche. C’était une pièce un peu vide, un peu froide : deux sièges usés à côté de la fenêtre, une petite table et des vieux magazines. Elle choisit le siège le plus près de la fenêtre, prit un magazine pour faire bonne contenance, incapable d’en lire une ligne. Elle attendait mais ne savait pas encore ce qui l’attendait. Elle s’attendait au pire. Elle ne se débarrasserait pas comme ça du poids qui l’avait mené jusque-là. Elle aurait pu encore partir, elle aurait pu décider à ce moment-là de ne rien dire. Mais elle s’en tiendrait à ce qu’elle avait décidé. Elle ne reculerait pas. Elle accepterait ce face à face quand bien même il lui renverrait la plus pénible image. Elle ne pouvait plus affronter son image justement, elle en avait pris conscience tout récemment.
Sur le mur d’en face, il y avait un étrange tableau à la fois très doux et très dense. De gros flocons bleus brouillaient le paysage, de grosses taches plus sombres dans le bas du tableau. Ses pensées tourbillonnaient comme cette neige. Il y avait quelque chose de pur, d’enfantin, quelque chose de magique, poussière d’étoile et rêves de Noël. Il y avait aussi quelque chose de grave, de confus, de sombre. Comme elle, ces tâches de couleur livraient le meilleur et le pire dans une confusion extrême. La porte en s’ouvrant la sortit de ses rêveries
“Madame de Lestrange, c’est à vous”. Le cabinet n’était pas très grand, couvert de livres sur les quatre murs. La pâle lumière de l’hiver éclairait faiblement les lieux. Le sol craquait un peu. Par un geste de la main, il lui indiqua la place qu’elle devait occuper.
Elle adopta le divan comme nouveau moyen de transport. Intimidée encore, elle ne savait pas très bien par où commencer ce grand voyage. Elle parla d’abord du tableau, de l’impression qu’il avait fait sur elle, de cette neige, de cette tâche, de ces tâches, reprit-elle. Il lui semblait que ce tableau devait l’emmener là où était le poids. C’était plus facile de partir de là, de ce paysage d’hiver qui la glaçait jusqu’aux os, de cette neige qui étouffait les bruits, de ce silence qui avait réjenté sa vie. Elle parla longtemps de la neige, du blanc immaculé de ce paysage lointain. Elle était déjà loin du tableau de la salle d’attente. Elle était au seuil de son histoire. Elle ignorait encore qu’elle cherchait là des draps plus purs où coucher ses souvenirs.