vendredi 6 février 2009

des mots et des roses

Elle était entrée dans cette histoire sans conviction. C’était un séducteur, tout le monde le savait, un homme à femmes, un beau parleur. Et elle, bien qu’elle approchait la trentaine, avait gardé une naïveté, un idéalisme, de très jeune fille. Elle était entrée dans cette histoire, malgré elle. Il était si charmant, si charmeur, elle avait succombé, sensible à ses mots, à ses roses et à sa fantaisie. Cela faisait maintenant six mois qu’ils se connaissaient et, elle était bel et bien tombée amoureuse. Il était drôle, il était généreux, convaincant, attachant. Il semblait, lui aussi, bien attaché à elle. Elle tirait une certaine fierté d’entendre ses amis le trouver transformé. Il semblait fier lui aussi de se montrer avec elle, dans les lieux où il fallait être vu. Il adorait l’emmener danser, il adorait son regard quand elle avait bu un peu de champagne. Peut-être ces soirs là, lui semblait-elle moins distante, moins froide, moins différente. Il cherchait parfois à provoquer sa jalousie, elle n’y voyait qu’un jeu. Rien de plus normal en effet qu’ils trouvent l’un et l’autre plaisir à danser chacun de leur côté. Ils se réservaient les dernières danses comme on garde le meilleur pour la fin, presque seuls dans ces salons dépleuplés au petit matin.
Il ne voulait pas aller à la soirée de Carnaval. Il avait du travail à finir, il était épuisé, il n’avait pas le temps de chercher un masque ou un déguisement, il préférait rester chez lui. C’est ce qu’il lui avait dit. Alors devant l’insistance d’une de ses amies, elle se décida à y aller. A plus de minuit, elle arriva sur place, parée comme une reine et sans masque. A peine fut-elle entrée, elle le reconnut, là, en train de danser. Son visage changea de couleur quand il croisât son regard. Son expression en disait long, il était pris en flagrant délit. Elle aurait voulu croire à n’importe quelle baliverne, elle était vraiment prête à croire à toutes ses fadaises. Il continuait à danser Dieu, que cette fille était laide. Et il s’approcha bientôt pour l’inviter à son tour. “Tu sembles épuisé, en effet” dit-elle, acerbe. Son sourire n’agit pas comme d’habitude. Il tenta de l’entraîner mais elle s’esquiva et fut vite emportée par un autre danseur. Quand je pense, du travail à finir mais comment ai-je pu le croire. Et l’affreuse noiraude était à nouveau dans ses bras. Et depuis combien de temps me fait-il son cinéma, il travaillait tellement ces derniers temps, tous ces réunions... La danse l’avait étourdie. La tête lui tournait presque. Elle bu une coupe de champagne, écouta distraitement son cavalier, surveilla la piste où il dansait encore. Comment ai-je pu être aussi naïve, j’aurais du m’en douter, toutes ces réunions soudaines, le salaud, mais comment pouvais-je imaginer ? hier encore, il m’offrait un collier, un joli petit collier en or. Elle reprit du champagne avant de retourner danser. Les pensées affluaient, confuses et contradictoires. Elle tâcha de s’étourdir davantage et elle était bien décidée à danser jusqu’au bout de la nuit. Rien ne pouvait mieux la venger qu’une nouvelle conquête, bien choisie et clairement affichée. Le champagne aidant, elle trouva l’aplomb qu’elle n’avait jamais eu pour aborder un beau brun ténébreux et il ne la lâcha plus de la soirée, quant elle aperçu l’autre, la noiraude, avec autour du cou, un collier, un collier pareil au sien. Le collier lui fit l'effet d'un coup de poignard. Jamais son amour propre n’avait été mené à aussi rude épreuve. Ses réunions le week-end, ses réunions incessantes, comment ai-je pu être dupe, comment ai-je pu me tromper à ce point, comment ai-je pu imaginer qu'il avait changé ? qu’avait-elle de plus que moi, que pouvait-il lui trouver ?
Il chercha à la faire danser à nouveau et cette fois elle ne se déroba pas. Elle parvint à rester calme. ne rien montrer surtout du mal qu’il me fait, l’indifference sera pire que la haine, c’est ça, il fallait feindre l’indifférence. Jamais il ne s’était imaginé qu’elle sortirait seule, jamais il n’aurait pris le risque de cette confrontation car au fond, il tenait à elle. Jamais il n’avait éprouvé cette sorte de sentiments, jamais il ne s’était senti si vulnérable. Alors cette petite brune, qu’il tenait à sa merci, ça le rassurait un peu. Avec elle, tout était simple, trop simple même. Le rythme les emporta, il crût un moment la reconquérir, presque seuls au milieu de la piste. Le beau ténébreux la lui souffla avant qu’il n’ait pu s’assurer de ses meilleurs sentiments. Elle se laissa emporter et oublia un moment la blessure encore à vif. laisser le charme agir, continuer à danser, à rire avec le bel inconnu, l’oublier lui et sa noiraude, l’ignorer tout à fait, le mépriser même.
Elle aurait pu lui faire une scène, il se serait expliqué, il aurait inventé n’importe quoi mais là, il était piégé, pris à son propre piège, avec la brunette qui s’accrochait désespérément à ses basques. Il la rudoya pourtant et elle persistait, obstinément. Il avait même pensé la ramener chez elle pour jouer plus tranquillement les repentis. Mais qu’avait donc cette fille, j’avais beau chercher, je ne lui trouvais rien. Ma vengeance ne durerait qu’un temps. Le temps d’une soirée, le temps de la nuit, à peine. Ma souffrance risquait de se ranimer avant l’aube mais je partirai la tête haute, au bras d’un des plus jolis garçons de la soirée. Ca ne suffirait pas à anéantir mon chagrin mais ça ravivait déjà l’ardeur de mon amoureux.
Elle n’a pas daigné me regarder en partant, pas un mot, pas un regard. Et qui était ce type avec elle, on ne l’avait jamais vu ici.
Le lendemain matin, elle se sentait anéantie, meurtrie, même son corps était tout endolori, comme si elle avait été rouée de coups, et elle se fit horreur dans le miroir avec ses yeux gonflés, rougis, marqués, ses cernes et son teint défraîchi, et l'autre revenait sans cesse, avec son visage étroit et pointu, ses yeux noirs très rapprochés, ses cheveux tristes. Elle repensa au collier, elle le remit dans sa boite et le jeta tout au fond d'un fond d'un tiroir.
Il attendit quelques jours avant de lui faire livrer des fleurs, onze roses rouges le jeudi, treize le vendredi, quinze le samedi, elle n’appelait toujours pas, dix-sept le lundi, dix-neuf le mardi, vingt et un le mercredi, et n’y tenant plus, il se posta à la porte de son immeuble, fébrile, se faufila derrière un locataire pour entrer discrètement, sans sonner, monta jusque chez elle, quatre à quatre, reprit sa respiration, difficilement, n’osa pas frapper tout de suite, pour récupérer complètement son souffle. Son coeur battait tellement fort. Son coeur continuait à battre la chamade. Il se décida à frapper. Rien Peut-être est-elle en train de regarder par le juda. La moquette épaisse ne laisse percevoir aucun bruit. De mon côté, le parquet craque et je fonds, je ne sens plus mes jambes, et s’il était là, l’autre, le grand brun, j’aurais l’air malin. La sueur coule le long de mes tempes. Toutes ces réunions, même les vraies, elle ne me croira jamais pourtant c’était vrai, la plupart du temps. Je frappe encore, toujours rien, elle m’ignore. “Alice, je t’en prie. laisse moi t’expliquer”. La porte s’ouvre, d’un coup. Elle est sublime, avec son petit sourire énigmatique. Les roses sont encore sous cellophane, assoiffées. Alice, Alice, je t'en prie, je bafouille, je bredouille, Alice, je m'enlise, je m'enfonce, je me noye, mes mots se perdent, aussi impuissants que mes roses et j'étouffe, je perds pieds, je vacille

mercredi 4 février 2009

la dame en gris

Elle a choisi la place la plus proche de la porte. Elle a du être assez jolie. Ses vêtements sont un peu trop grands pour elle. Elle semble toute petite, seule sur ce côté du mur où sont alignées cinq chaises métalliques vert pâle. Est-ce le vert qui la rend plus pâle ? Je ne vois qu’elle, je reviens systématiquement vers elle, vers son regard clair, presque délavé dans ce visage de porcelaine. Peut-être qu’elle me renvoie à un futur impensable ? inimaginable, peut-etre que j’ai envie d’envisager l’avenir, envie de faire de vieux os. Oui, j’ai envie de ça aujourd’hui. C’est drôle qu’ils mettent toujours des couleurs blafardes dans ces lieux où chacun aurait besoin d’être réconforté !
Est-ce son regard qui me fascine ? son âge ? les marques causées par le temps ? Sa peau est si fine, sa peau aussi est trop grande pour elle. Ses cheveux sont gris, uniformément gris. Ca lui va bien, le gris, c’est pas triste chez elle, c’est parce que ses yeux rient. Les yeux ça ne vieillit pas. Il y a dans ces yeux quelque chose de juvénile, on voit presque la petite fille qu’elle a été, on l’imagine, quand on la voit rire juste avec ses yeux. Ses jambes sont si maigres, si fines. C’est ça qui la rend fragile. Ce devait être une petite fille très vive. Ils pourraient mettre des couleurs chaudes. Avec ces néons, on a tous l’air malade, très malade, forcément avec ce vert qui déteint partout, sur toutes les peaux. Tiens elle tremble un peu. Son enveloppe est trop lourde pour elle. C’est drôle comme elle me touche, c’est comme si... elle sourit à nouveau. Si elle savait que je suis tout occupée d’elle ou peut-être de moi-même oui c’est ça, au fond, c’est ce coté fragile et vulnérable qui me touche, ce visage ridé, un peu effacé, et tellement chargé. Qu’a t elle fait de toutes ses années ? j’aimerais bien être comme elle, enfin je ne sais pas si j’aimerais vivre jusque là. Elle semble sereine. Elle a peut-être rien de grave. C’est bien d’être comme ça à son âge. C’est comme si l’on retrouvait une certaine forme de naïveté. Elle doit être assez coquête, rien n’est laissé au hasard. C’est bien de faire attention à tout ça, ne pas se laisser aller. Tout ce lainage gris, c’est doux. Tout est immensément doux dans son visage. Les années adoucissent la peine. Et ses mains, comme elles sont longues, très fines et elles tremblent toujours un peu.
On entend des pages qui se tournent. En face les gens ont pris une revue au passage. Elle sourit légèrement, elle fait un petit signe de tête, quelqu’un vient de rentrer à nouveau. Encore un patient et le médecin qui n’arrive toujours pas. Elle n’a pas l’air de s’inquiéter, elle attend patiemment. Avec le temps, on prend son mal en patience. Avec le temps, moi, je perds patience, je ne sais pas si je retrouverais mon calme... plus tard, peut-être, quand j’aurais le temps, quand le temps s’arrêtera de courir. Elle doit avoir froid dans ses petites chaussures, peut-être qu’elle dit souliers, c’est joli soulier, c’est désuet, être dans ses petits souliers, ça m’amuse toujours d’entendre ça. A quoi pense-t-elle, à la maladie qui la ronge ou bien aux courses qu’elle va faire après sa visite ? Elle doit habiter le quartier. Je ne l’ai jamais vu. On voit tellement de monde. qu’on ne voit personne. Elle pense peut-être à ses enfants, à ses petits-enfants. elle pense peut-être à sa vie quand elle avait mon âge, à tous ces inconnus qu’elle avait jamais vus, à ce médecin qu’elle aime bien. C’est vrai qu’il est bien le Docteur Salvi. Il est disponible, c’est pour ça qu’on attend si longtemps, Les pages se tournent, quelqu’un tousse. Elle tient son sac bien serré sur ses genoux, elle a mis l’enveloppe dessous, les mains croisées dessus, on ne voit plus qu’elle tremble, très légèrement. Elle a une petite montre, qui tourne sur son poignet. Il est dix heures moins le quart, les consultations n’ont pas commencé. La porte s’ouvre, le Docteur Salvi entre avec son sourire désarmant “pardon pour mon retard”, il emmène ma petite dame en gris. Le mur reste vide, vert et muet. Elle me manque déjà, je me sens seule et j'ai froid, c'est comme si avec elle, s'enfuyait un possible avenir.