mardi 7 avril 2009

rêve de gare

La gare est déserte, inondée par la lumière du soir, le car m’a déposé dans une gare où ne part plus aucun train. J’aurais du partir plus tôt. Avec le dernier car, on n’a pas le droit à l’erreur et là, pas de chance, il m’a fait le coup de la panne, je me retrouve en rade, seul dans une ville que je ne connais pas. Il fait encore chaud, il fait lourd, il fait moite, je suis exténué. Il faisait une chaleur irrespirable dans ce car aux fenêtres fermées, plus d’une heure de trajet pour sortir de l’île, une heure de petites routes et d’arrêts à tous les villages. A chaque arrêt, il faisait un peu plus chaud et puis il y a eu cette panne, on a du descendre, attendre un autre car, attendre en plein soleil, pas un arbre, pas un souffle d’air, des passagers résignés. Ils m’avaient bien dit de rester, “allez reste un jour de plus”, surtout elle, ils avaient vraiment insisté et j’étais là sur mon banc, épuisé, à attendre un train qui ne passerait plus, je suis là, dans cette gare inhospitalière, il est tard, je penche la tête en arrière, je ferme les yeux un moment, je me redresse et je vois s’avancer dans la lumière du couchant, je ne l’ai pas reconnue tout de suite, ébloui, je n’ai pas vu sa silhouette approcher, mais c’est bien elle, dans sa robe bleue. Elle est là, elle me tend la main, elle m’invite à la suivre. Je reste ébahi, un instant, et puis je cours, je vole, je ne sais comment je me retrouve dans cette chambre avec elle. C’est comme si elle avait tout préparé, tout organisé. La chambre est fraiche, fenêtres ouvertes sur les volets clos, la chambre est restée toute la journée dans la pénombre, à nous attendre, elle ressemble un peu à celle que j’avais là-bas. Nous n’avons pas échangé un mot, nos corps parlent si bien, rien ne peut rompre leur danse effrénée, rien, nos corps s’étaient si bien cherchés ces derniers jours, rien ne pouvait plus les arrêter.
“Monsieur, monsieur, votre billet, s’il vous plait”. Le souffle court, j’ouvre un oeil, j’ai bien peur d’avoir perdu mon rêve, perdu Elise dans ce train qui me ramène à Paris. J’étais venu ici pour me remettre, pour oublier, je n’étais pas vraiment prêt, j’étais trop... j’étais... J’aurai pu rester, oui, ils voulaient me garder quelques jours, ou juste un jour. mais... Elle était trop belle, Elise, il y a longtemps que je ne l’avais pas vue, je ne l’avais jamais vu comme ça, jamais avec ces yeux là. Au fond je ne l’avais jamais regardé, je n’avais jamais vu la femme en elle, j’avais vu la petite fille grandir, l’amie d’enfance, la soeur de mon ami d’enfance pour être plus exact, la petite soeur, puis j’avais vu sans la voir, la jeune mariée, la jeune femme, la femme enjouée, la femme d’un autre, mais elle, cette femme magnifique, c’est seulement ces jours-ci que je l’ai découverte. Elle était superbe ce soir dans sa robe bleue,. Et je la revois pieds nus sur le carrelage de la cuisine, tous les matins dans sa grande chemise blanche, chaque matin plus dorée, chaque matin plus... oh tais-toi, tu délires. Oui je délire dans ce train qui m’éloigne d’elle à jamais, je repars un moment dans cette chambre fraiche, je suis emporté par la vague, dans ces transports, irréels, impossibles, je cherche à rattraper mon rêve comme certain attrape les trains, mais je reste sur le quai, seul, totalement seul, la nuit est tombée tout à fait. Elise est dans son île, endormie, immatérielle, inatteignable. Elise a rejoint les fantômes du passé, idéals et invincibles, éternels. Elise, même son prénom, doux, lisse, et qui rit, et qui souffle comme une brise. Comment n’ai-je pas remarqué la petite Lily, comment n’ai-je pas vu Elise à 15 ans, à 20 ans, je ne voyais rien, faut-il souffrir pour ouvrir les yeux, grandir, mes yeux sont grand ouverts maintenant, Paris se rapproche, Paris se referme sur moi. Je traine mes valises dans des rues éteintes, je suis arrivé, je tourne la clé, je sens encore le parfum de ses cheveux , elle disparait bientôt dans le halo du réverbère, elle se dissout dans un sommeil sans fin. Je me réveille au petit matin, j’ai encore rêvé d’elle, je n’ai pas tiré les rideaux, le réverbère s’est allumé, le réverbère m’a réveillé.

“Le temps nous égare, le temps nous étreint, le temps nous est gare, le temps nous est train” Jacques Prévert