mercredi 23 décembre 2009

La petite fille aux allumettes

d'après les contes d'Andersen

Il faisait effroyablement froid, il neigeait depuis le matin; il faisait déjà sombre, le soir approchait, le soir du dernier jour de l'année. Au milieu des rafales, par ce froid glacial, une pauvre petite fille marchait dans la rue. Elle n'avait rien sur la tête, elle était pieds nus.
Dans son vieux tablier, elle portait des allumettes. Elle en tenait un paquet à la main. Mais, ce jour-là, veille du nouvel an, tout le monde était affairé. Par ce temps affreux, personne ne s'arrêtait pour considérer l'air suppliant de la petite. La journée finissait, et elle n'avait pas encore vendu un seul paquet d'allumettes. Tremblante de froid et de faim, elle se traînait de rue en rue.
Des flocons de neige couvraient sa longue chevelure blonde. De toutes les fenêtres brillaient des lumières. De certaines maisons sortait une délicieuse odeur d'oie qu'on rôtissait pour le festin du soir. C'était la Saint-Sylvestre.
Enfin, après avoir une dernière fois offert en vain son paquet d'allumettes, l'enfant aperçoit une encoignure entre deux maisons, dont l'une dépassait un peu l'autre. Harassée, elle s'y assied et s'y blottit, tirant à elle ses petits pieds. Elle grelotte et frissonne encore plus qu'avant et cependant elle n'ose rentrer chez elle. Elle n'y rapporterait pas la plus petite monnaie, et son père la battrait.

L'enfant avait ses petites menottes toutes transies. «Si je prenais une allumette, se dit-elle, une seule pour réchauffer mes doigts? » C'est ce qu'elle fit. Quelle flamme merveilleuse c'était! Il lui sembla tout à coup qu'elle se trouvait devant un grand poêle en fonte, décoré d'ornements en cuivre. La petite allait étendre ses pieds pour les réchauffer, lorsque la petite flamme s'éteignit brusquement: le poêle disparut, et l'enfant restait là, tenant en main un petit morceau de bois à moitié brûlé.
Elle frotta une seconde allumette: la lueur se projetait sur la muraille qui devint transparente. Derrière, la table était mise, couverte d'une belle nappe blanche, sur laquelle brillait une superbe vaisselle de porcelaine. Au milieu, s'étalait une magnifique oie rôtie, entourée de compote de pommes. Et voilà que la bête se met en mouvement et, avec un couteau et une fourchette fixés dans sa poitrine, vient se présenter devant la pauvre petite. Et puis plus rien: la flamme s'éteint.
L'enfant prend une troisième allumette, et elle se voit transportée près d'un arbre de Noël, splendide. Sur ses branches vertes, brillaient mille bougies de couleurs. De tous côtés, pendait une foule de merveilles. La petite étendit la main pour saisir la moins belle, l'allumette s'éteint. L'arbre semble monter vers le ciel et ses bougies deviennent des étoiles. Il y en a une qui se détache et qui redescend vers la terre, laissant une trainée de feu.

«Voilà quelqu'un qui va mourir » se dit la petite. Sa vieille grand-mère, le seul être qui l'avait aimée et chérie, et qui était morte il n'y avait pas longtemps, lui avait dit que lorsqu'on voit une étoile qui file, d'un autre côté une âme monte vers le paradis. Elle frotta encore une allumette, une grande clarté se répandit et, devant l'enfant, se tenait la vieille grand-mère. «Grand-mère, s'écria la petite, grand-mère, emmène-moi. Oh! tu vas me quitter quand l'allumette sera éteinte, tu t'évanouiras comme le poêle si chaud, le superbe rôti d'oie, le splendide arbre de Noël. Reste, je te prie, ou emporte-moi ».
Et l'enfant alluma une nouvelle allumette, et puis une autre, et enfin tout le paquet, pour voir la bonne grand-mère le plus longtemps possible. La grand-mère prit la petite dans ses bras et elle la porta bien haut, en un lieu où il n'y avait plus ni de froid, ni de faim, ni de chagrin. C'était devant le trône de Dieu. 
Le lendemain matin, cependant, les passants trouvèrent dans l'encoignure le corps de la petite, ses joues étaient rouges, elle semblait sourire. Elle était morte de froid, pendant la nuit qui avait apporté à tant d'autres des joies et des plaisirs. Elle tenait dans sa petite main, toute raidie, les restes brûlés d'un paquet d'allumettes.
- Quelle sottise ! dit un sans-coeur. Comment a-t-elle pu croire que cela la réchaufferait ? D'autres versèrent des larmes sur l'enfant, c'est qu'ils ne savaient pas toutes les belles choses qu'elle avait vues pendant la nuit du nouvel an, c'est qu'ils ignoraient que, si elle avait bien souffert, elle goûtait maintenant dans les bras de sa grand-mère la plus douce félicité.

jeudi 10 décembre 2009

Aurélie

On s’était donné rendez-vous dans un café à côté de la gare, elle était habillée en vert, le vert c’est la couleur de l’espoir, rien que pour ça, j’ai eu envie de l’embrasser. Elle est jolie Aurélie, ça je m’en serais doutée, il a toujours eu du goût pour les jolies filles, il aime les filles un peu brindille, pas trop conventionnelle, originale dans leurs traits ou dans leur allure. Elle a des grands yeux verts, les cheveux attachés, légèrement roux, ses vêtements sont marrants, pas ceux de tout le monde, elle travaille dans la presse je crois, ou dans l’édition. On a décidé d’aller le voir tout de suite, de lui faire la surprise, de ne pas attendre.
J’avais appelé Aurélie la veille, je lui avais tout raconté, tout dit, la pudeur, la maladie, la saloperie de maladie, les moments de bonheur, les petites choses qui transforment une journée en merveille, les petits riens, j’ai dit aussi combien moi, à sa place, à sa place à elle, je voudrais savoir. Elle m’a semblé très bien cette Aurélie, elle m’a écouté, elle a rien dit tout de suite, elle était sous le choc, elle était émue et puis elle m’a demandé si il voulait la voir, si elle pouvait venir. Je ne savais pas très bien ce qu’un homme entre la vie et la mort pouvait souhaiter mais j’étais convaincu que la présence d’Aurélie pourrait lui mettre un peu de baume au coeur. J’aurais fait n’importe quoi pour lui proccurer cinq minutes de bonheur. Tout valait la peine d’être tenté. Au pire, il serait furieux mais une minute ou deux seulement, furieux d’être un peu trahi, furieux d’être là diminué, sous ses yeux mais on se connaissait assez bien, j’étais prête à parier que cette apparition serait un peu magique. Ces derniers temps je voulais croire aux miracles, je m’accrochais à cette idée et je voulais croire que c’était une bonne idée.