dimanche 3 octobre 2010

rendez-vous manqué

Ce n'était pas loin de chez elle et pourtant, elle s'y sentait complètement étrangère. Elle n'avait jamais emprunté cette rue, cette drôle de rue, coudée, sombre et inhospitalière. Le coude bouchait toute perspective, les murs très sombres avaient absorbé depuis longtemps toute la lumière et malgré l'heure de la journée et le temps plutôt clément de cette fin septembre, on se serait cru à la tombée de la nuit. Quelque chose de noir semblait suinter du mur sans fenêtre qui se trouvait à sa droite, comme une pluie grasse et il n'y avait pas âme qui vive depuis qu'elle avait quitté l'avenue.
Le médecin avait parlé de square, elle avait imaginé un endroit clair et verdoyant, il avait précisé que c'était à côté. Pourtant à peine elle s'était engagée dans cette rue, elle s'était senti, loin, comme éloignée d'elle-même. Elle avait ressenti une sorte de malaise, était-ce ce noir, ce coude, l'absence de monde, le contraste d'avec l'avenue, connue, arpentée maintes fois et fréquentée nuit et jour. Là il n'y avait personne. Une fois le coude passé, elle aperçut une silhouette ou deux, des gens silencieux sans regard, sans parole, des murs un peu plus clairs, des arbres, l'entrée du square, un soupçon de lumière. Elle était en avance, elle se dirigea vers le square, le pâle soleil de septembre tâchait de poindre entre deux arbres, un soleil bas et froid, les gens assis sur les bancs étaient recroquevillés, sombres et immobiles. Elle fouilla dans sa sac, elle se souvint qu'elle avait retiré son livre, elle prit son agenda, elle s'était trompée d'heure, elle était plus en avance encore qu'elle ne le croyait et elle n'avait rien à lire, il n'y avait pas un kiosque dans les parages, pas une boutique, pas un café... Elle reprit le chemin de l'avenue, le chemin de la vie, du bruit. Et quand une heure après, elle reprit la rue, dépassa le coude noir, marcha encore quelque pas, sonna, entra dans le cabinet du psychanalyste, il lui dit un peu sèchement "vous vous êtes trompée d'heure".
Elle s'était trompée d'heure, d'homme, de rue, elle s'était trompée sur toute la ligne, elle s'était égarée depuis longtemps et il lui semblait qu'elle ne se retrouverait pas ici, que ni la rue, ni l'homme, lui convenaient.
Deux semaines plus tard, elle arpentait un boulevard aéré, aux arbres majestueux et s'en allait confiante vers un inconnu prometteur...