mardi 25 novembre 2008

viré

viré, quand je pense, quinze ans que je trime dans cette boite comme un con. viré, je suis viré. mais comment je vais lui dire, non pas moi, elle ne peut pas entendre ça, je ne peux pas lui dire ça, elle ne le supporterait pas. quinze ans que je rentre tard tous les soirs, jamais avant dix heures, que je travaille comme une brute, tous les jours, tous les samedis, tous les dimanches. quinze ans qu'elle accepte cette vie là, parce qu'il faut bien vivre. Mais comment je n'ai rien vu venir, mais comment ils peuvent me faire ça. non, je rêve, je vais me réveiller, c'est un mauvais rêve, un cauchemar, je suis dans ma chambre, il fait nuit, il fait froid, novembre, viré un 2 novembre, fête des morts, mais ils veulent ma mort, elle ne supportera pas ça, toutes ces années de sacrifice, tout ce temps volé, elle préférerait me voir mort. Sans ce job, je ne suis plus rien, je ne vaux plus rien, ils étaient bien contents de trouver un pigeon, qui accepte de s'enterrer dans une banlieue sordide de Manchester. ils ont bien tiré sur la corde Et là, rideau, terminé, sans explication, condamné, jeté, fini, terminé, autant se pendre, ne pas lui dire, non pas tout de suite, ne pas lui dire ce soir, faire comme si, faire comme ça tous le soirs, attendre jusqu'à dix heures pour rentrer. Ca fait deux heures que je tourne autour du pot, deux heures que je grille cigarettes sur cigarettes. Ce soir ça va mais demain, après-demain, qu'est-ce que je vais faire. Il faudra bien qu'elle sache, il faudra payer les traites, il faudra vivre autrement, il faudra trouver autre chose. Elle est si fragile, mais ici je ne trouverais jamais rien, il faudra déménager, il faudra rentrer en France, pas ce soir, je n'ai pas le courage, pas de scène, pas de larmes, pas la force d'entendre ses jérémiades, de la consoler. Et s’ils s’en mordaient les doigts, s’ils changeait d’avis, si je me réveillais là, tout de suite. Il est huit heures, nous sommes le 2 novembre, ma lettre de licenciement me parviendra dans quelques jours, mais si elle tombait dessus. ah non il faut pas qu’elle la voit, pas avant, pas encore, non pas ce soir... Ailleurs, j’aurais pu aller prendre un verre, quelque part, croiser un copain, noyer mon chagrin, n’importe où ailleurs, un soir comme ça, on se serait saouler la gueule, mais ici dans cette banlieue toute en briques sombres, rien n’a été fait pour soulager la misère du monde, rien, chacun rentre chez soi, la voiture au garage, entre par l’escalier de la cave, embrasse Bobonne et s’enfonce dans son fauteuil, son journal et sa petite vie bien organisée. Rien pas de réverbère, pas de boutique, pas de restaurant, pas de troquet, pas de pub : des pavillons, les uns contre les autres, des arbres sans feuilles, deux ou trois immeubles de bureau qui s’éteignent chaque soir à la même heures, Comment ai-je pu être aussi CON, comment ai-je pu vivre ça comme ça, sans broncher Quinze ans, elle dans son pavillon de briques, à briquer toute la journée, à m’attendre toute la sainte journée et moi dans ce bureau, à manier des chiffres toute la journée, des chiffres plein la tête, la tête lourde, pleine de chiffres, des chiffres qui remplissent ma vie, il n’y a plus que des chiffres dans ma putain de vie, même la nuit, je cours après les chiffres, les chiffres courent dans ma tête. Ca cogne, ça résonne, ça chavire, et puis tout s’effondre. Tout. Ca tenait à un fil, un fil invisible, un fil virtuel, On est en plein délire, Tout ça n’est que fumée, une immense fumisterie, une grande comédie, du vent, du bruit, des arguments bidons, des chiffres colossaux, faramineux, incroyables, des chiffres aléatoires, magiques, des sommes pharaoniques, on y croit, on en rêve, et puis pffffut... tout s’effrondre comme un chateau de carte. Tant pis pour les rêveurs, les trimeurs, les bosseurs, il faut sauver le fric qui reste, tant pis pour les habitudes, les confortables petites habitudes, il fallait se méfier, voir le vent venir, il fallait se tirer, pendant qu’il était encore temps, et moi pauvre CON, je vais rentrer dans mon p’tit pavillon, piteux, pittoyable, lamentable. J’vais me jeter sur la bouteille de scotch. Elle va bien voir qu’ y a que’que chose qu’y va pas, elle voit tout, elle sent tout, elle me reproche assez de puer le tabac, elle a peur, peur que j’creve, “tu fumes trop, j’te dis, tu vas te rendre malade. peur d’être seule, elle parle presque plus, à force d’attendre, elle a pris l’habitude d’être seule et d’etre silencieuse. elle a peur de sa voix, elle a peur de la mienne, elle a peur me perdre, elle a peur de tout, même d’elle même, elle se sent perdue, elle s’est perdue depuis longtemps, dans ses rêves, dans son monde et elle frotte, elle brique, elle mitonne, elle ronronne comme un vieux chat, elle tourne en rond dans sa cuisine, elle est pas si malheureuse qui sait, elle rêve encore, elle. Mais moi, c’est fini pour moi le rêve, c’est foutu, comment lui dire, comment rester là, à coté d’elle sans rien dire, je lui dirai demain, ou dimanche, ouai c’est bien dimanche, c’est toujours triste le dimanche, c’est toujours un peu plus triste que les aut’es jours, la nuit tôt dans les arbres sans feuilles, le vent qui s’engouffre, la pluie contre les vitres, y a qu’le dimanche où on a le temps de sentir tout ça, ouai dimanche, c’est bien dimanche, je lui dirai dimanche.

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