dimanche 7 février 2010

le temps oublié

"depuis je n'ai cessé d'utiliser la lecture comme un moyen de faire disparaître le temps et l'écriture comme un moyen de le retenir"

"un roman français" frédéric beigbeder


En vieillissant, je n'ai plus peur d'être paresseuse, je revendique un droit à la paresse, un art de la paresse. Je refuse les réveils, les contraintes, tout ce qui bride le pouvoir des rêves et de l'imagination. Je refuse les rendez-vous du matin, les appels du matin. Le matin c'est sacré. Je me réveille, lentement, j'émerge tout doucement, je laisse venir à moi la lumière, l'idée de la lumière, les bruits de la ville, un bruit particulier, la perception, la précision d'un bruit, et d'un autre, je laisse venir les mots, je saisis sur une feuille imaginaire l'inspiration de la nuit, j'écris, j'élabore, je construis quelques phrases qui reviendront hanter mon esprit jusque sur le papier que s'ils en valaient la peine, que s'ils savent s'imposer. Et puis, quand les mots et les rêves se sont totalement évanouis, il est temps de se lever. Je vais prendre mon petit déjeuner, moment privilégié de la journée, odeur de pain chaud, thé parfumé. Quand j'ai fini et que j'ai un peu de temps devant moi, je prends ma théière et je retourne dans mon lit, j'ai souvent pris un petit café avant, tout petit, très serré, très fort. Et puis, je retourne dans mon lit et je lis, je lis au gré de mes envies, sans tellement de méthode, je lis ce qui me plaît, ce qu'on m'offre, ce qu'on me prête, je lis une heure quand cela est possible, plus parfois. Je lis pour le plaisir, je lis pour me nourrir et puis après j'écris. Je n'ai pas peur de perdre mon temps, je ne cherche pas à le retenir, je ne cherche pas à l'occuper à tout prix, je cherche seulement à lui donner du prix, je le consomme en toute conscience. Jamais je n'ai la sensation de perdre mon temps à lire, et quand j'écris je perds la notion du temps, je suis propulsée ailleurs, dans l'enfance ou dans le futur, dans la vie d'un autre, dans une vie autre où le temps se déploie autrement. Le plus difficile c'est quand les mots se brouillent dans les livres ou sur la page, quand les mots ne veulent plus éclore à la surface des choses, quand ils refusent de voir le jour, quand ils se font attendre, parfois jusqu'à la nuit, parfois des jours et des nuits, quand ils me laissent exsangue, à bout de force, à force de chercher l'indicible, l'ineffable, l'inénarrable, à force de creuser là et là, là où ça fait mal, là où je m'étais efforcée d'oublier, là où je ne croyais jamais revenir. Mais quand enfin les mots dévoilent quelque chose, quand ils se déploient, quand ils coulent, de source, qu'ils s'échappent, qu'ils se dissipent, c'est la joie. Et s'ils savent s'émanciper, prendre une toute autre voie que celle que j'avais prévue, quand ils racontent une toute autre histoire, quand ils m'embarquent malgré moi, c'est encore plus beau, c'est comme si tout à coup, j'avais des ailes...

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