mercredi 4 février 2009

la dame en gris

Elle a choisi la place la plus proche de la porte. Elle a du être assez jolie. Ses vêtements sont un peu trop grands pour elle. Elle semble toute petite, seule sur ce côté du mur où sont alignées cinq chaises métalliques vert pâle. Est-ce le vert qui la rend plus pâle ? Je ne vois qu’elle, je reviens systématiquement vers elle, vers son regard clair, presque délavé dans ce visage de porcelaine. Peut-être qu’elle me renvoie à un futur impensable ? inimaginable, peut-etre que j’ai envie d’envisager l’avenir, envie de faire de vieux os. Oui, j’ai envie de ça aujourd’hui. C’est drôle qu’ils mettent toujours des couleurs blafardes dans ces lieux où chacun aurait besoin d’être réconforté !
Est-ce son regard qui me fascine ? son âge ? les marques causées par le temps ? Sa peau est si fine, sa peau aussi est trop grande pour elle. Ses cheveux sont gris, uniformément gris. Ca lui va bien, le gris, c’est pas triste chez elle, c’est parce que ses yeux rient. Les yeux ça ne vieillit pas. Il y a dans ces yeux quelque chose de juvénile, on voit presque la petite fille qu’elle a été, on l’imagine, quand on la voit rire juste avec ses yeux. Ses jambes sont si maigres, si fines. C’est ça qui la rend fragile. Ce devait être une petite fille très vive. Ils pourraient mettre des couleurs chaudes. Avec ces néons, on a tous l’air malade, très malade, forcément avec ce vert qui déteint partout, sur toutes les peaux. Tiens elle tremble un peu. Son enveloppe est trop lourde pour elle. C’est drôle comme elle me touche, c’est comme si... elle sourit à nouveau. Si elle savait que je suis tout occupée d’elle ou peut-être de moi-même oui c’est ça, au fond, c’est ce coté fragile et vulnérable qui me touche, ce visage ridé, un peu effacé, et tellement chargé. Qu’a t elle fait de toutes ses années ? j’aimerais bien être comme elle, enfin je ne sais pas si j’aimerais vivre jusque là. Elle semble sereine. Elle a peut-être rien de grave. C’est bien d’être comme ça à son âge. C’est comme si l’on retrouvait une certaine forme de naïveté. Elle doit être assez coquête, rien n’est laissé au hasard. C’est bien de faire attention à tout ça, ne pas se laisser aller. Tout ce lainage gris, c’est doux. Tout est immensément doux dans son visage. Les années adoucissent la peine. Et ses mains, comme elles sont longues, très fines et elles tremblent toujours un peu.
On entend des pages qui se tournent. En face les gens ont pris une revue au passage. Elle sourit légèrement, elle fait un petit signe de tête, quelqu’un vient de rentrer à nouveau. Encore un patient et le médecin qui n’arrive toujours pas. Elle n’a pas l’air de s’inquiéter, elle attend patiemment. Avec le temps, on prend son mal en patience. Avec le temps, moi, je perds patience, je ne sais pas si je retrouverais mon calme... plus tard, peut-être, quand j’aurais le temps, quand le temps s’arrêtera de courir. Elle doit avoir froid dans ses petites chaussures, peut-être qu’elle dit souliers, c’est joli soulier, c’est désuet, être dans ses petits souliers, ça m’amuse toujours d’entendre ça. A quoi pense-t-elle, à la maladie qui la ronge ou bien aux courses qu’elle va faire après sa visite ? Elle doit habiter le quartier. Je ne l’ai jamais vu. On voit tellement de monde. qu’on ne voit personne. Elle pense peut-être à ses enfants, à ses petits-enfants. elle pense peut-être à sa vie quand elle avait mon âge, à tous ces inconnus qu’elle avait jamais vus, à ce médecin qu’elle aime bien. C’est vrai qu’il est bien le Docteur Salvi. Il est disponible, c’est pour ça qu’on attend si longtemps, Les pages se tournent, quelqu’un tousse. Elle tient son sac bien serré sur ses genoux, elle a mis l’enveloppe dessous, les mains croisées dessus, on ne voit plus qu’elle tremble, très légèrement. Elle a une petite montre, qui tourne sur son poignet. Il est dix heures moins le quart, les consultations n’ont pas commencé. La porte s’ouvre, le Docteur Salvi entre avec son sourire désarmant “pardon pour mon retard”, il emmène ma petite dame en gris. Le mur reste vide, vert et muet. Elle me manque déjà, je me sens seule et j'ai froid, c'est comme si avec elle, s'enfuyait un possible avenir.

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